Se taire pour mieux écouter

Il y a quelques jours, dans ma ville, une jeune femme prénommée Alysson s’est suicidée. Je ne la connaissais pas. Et si les médias n’avaient pas relayé ce suicide-là, je n’en aurais jamais entendu parler. Cette personne venait d’ouvrir son premier commerce, une barberie, au prix de toutes ses économies, au début du déconfinement. Sa boutique n’a pas survécu à la fermeture imposée par le reconfinement. Et Alysson a choisi de se donner la mort.

Pour l’optimiste que je suis, c’est choquant et triste. Mais je tente de garder les yeux grand ouverts et j’ai conscience qu’elle n’est pas seule dans ce cas et que chaque jour d’autres personnes, pour d’autres raisons et la même peine, en viennent à mettre fin à leur vie. Cependant, Alysson est devenue, malgré elle je le crains, un symbole, victime non pas du virus mais des conséquences de la crise. Et dans mon petit pays divisé, dans cette société polarisée, les uns et les autres s’opposent à son propos. Tandis que les hommages pleuvent dans les médias et sur les réseaux sociaux, la colère gronde. Les uns accusent le gouvernement d’être responsable de sa mort, les autres protestent contre cette récupération, les amalgames et le peu de reconnaissance du travail de l’état pour aider les indépendants et tous les travailleurs dans son cas. J’écoute l’indignation et l’inquiétude légitimes des uns. J’écoute le désarroi et l’impuissance des autres. S’il y en a qui s’en lavent les mains, je ne les entends pas. S’il y en a qui ont de funestes responsabilités dans ce cas, ils ne prennent pas part au débat. Les leçons de l’histoire se tirent rarement au présent. Dans la presse, les éditorialistes ne commentent que les vérités du jour. Et l’un d’entre eux, qui rappelle qu’un suicide est toujours singulier et que le deuil invite à la dignité, en conclut que, en ce genre de circonstances, il faut savoir respecter et se taire.

Face a la mort, le silence.

J’entends, je respecte mais ce n’est pas assez. Le silence n’est pas une réponse à la colère, l’indignation, l’inquiétude ou l’impuissance. Et ces sentiments-là disent au contraire, et fort à propos, les besoins dont il faudra prendre soin pour faire le deuil d’Alysson et de toutes les victimes du virus et des divisions de notre société. Alors, face au drame, je veux bien respecter les arguments des uns et des autres et me taire. Mais quand je me tais, c’est pour mieux écouter.

(Photo d'illustration : fresque réalisée en hommage à Alysson par un artiste liégeois qui a choisi de rester anonyme pour ne pas diriger les projecteurs sur lui.)