Pourquoi tant d'histoires ?

Bases et enjeux du récit

 

Les récits sont des éléments essentiels de la manière dont les humains vivent. En société, de nombreux comportements sont justifiés et renforcés par de nombreuses références à des récits. Les récits qui opposent le bien et le mal, ou qui parlent de destin ou d’élu, sont parmi les exemples les plus frappants et les plus répandus. Par ailleurs, les récits permettent aussi de soutenir des comportements personnels. Quand il décide de se lancer dans une carrière, dans une aventure ou dans la parentalité, un humain se raconte des histoires et peut se raccrocher à nouveau à de multiples récits qui lui montrent la voie ou lui fournissent des repères. Avec les récits évoqués ci-dessus sur les défaillances de la société, les histoires d’amour sont parmi les plus répandues.

 

Personne n’échappe aux récits. Tous les enfants sont bercés d’histoires et savent qu’elles commencent par « il était une fois ». Les histoires sont intiment liées à l’apprentissage d’une langue. Par ailleurs, dans la société occidentale, les histoires se sont déclinées sous de multiples formats omniprésents : cinéma, télévision, jeux vidéos, internet, etc. L’immense majorité des humains baignent dans les histoires d’une manière ou d’une autre.

 

Une histoire a une différence fondamentale avec d’autres créations comme la peinture, la photo ou la sculpture, c’est sa linéarité. Une histoire ne peut pas être reçue d’un coup et en entier. Elle a obligatoirement un début, un milieu et une fin car les mots se découvrent les uns après les autres. Les évènements s’enchaînent donc. C’est l’enchaînement des évènements, des émotions, des idées qui importe dans une histoire, qui en fait sa singularité. Construire une histoire, c’est gérer de l’information, poser des choix. Ce qui implique des effets, des conséquences, d’autant plus importants qu’on a vu l’omniprésence et l’importance essentielle du rôle des histoires.

 

La structure classique et quasi unanimement répandue des histoires est connue depuis l’Antiquité et « La poétique » d’Aristote. Elle découle du nécessaire découpage d’une histoire en un milieu, un début et une fin, ce qui revient à l’articuler en trois actes. Une situation initiale ouvre l’histoire, cette situation se transforme et finit par aboutir à une situation finale. Un récit est donc fondamentalement la présentation d’une transformation (que celle-ci soit minime ou non, ait des conséquences, échoue ou pas). Et, à nouveau, dans l’écrasante majorité des cas, le récit concerne un personnage (seul ou multiple, humain ou non, qu’on pourrait nommer plus justement le protagoniste). Un récit est la narration de la transformation d’un protagoniste.

 

Comment un protagoniste est-il transformé ? Voilà la question centrale, le fil rouge qui structure un récit entre ses trois parties, du début à la fin. Une situation initiale est transformée en une situation finale car un protagoniste avait une quête (si petite soit-elle), inaccessible au début car ce protagoniste avait une faille (comme tout être humain), qu’il a rencontré des obstacles (internes ou externes, souvent de plus en plus importants) et qu’il a dû surmonter sa faille pour les affronter. Et pas question de nous tenir à distance ou de nous mentir, il nous faut vivre avec le protagoniste, le voir agir (quelle que soit l’ampleur de ses actions) pour accéder à ses émotions et y projeter les nôtres afin de prendre conscience de ses motivations et découvrir par nous-mêmes ce que son histoire nous apprend de lui et de nous-mêmes selon la manière dont il aura surmonté (ou pas) les obstacles, atteint (ou pas) sa quête et comblé (ou pas) sa faille. C’est ainsi que peut s’activer le processus d’empathie.

 

Tout récit véhicule des valeurs, qu’il soit bien ou mal raconté. Et, en fonction de la manière dont les éléments de base sont articulés, du point de vue qui est adopté, du niveau de subtilité et de complexité, ces valeurs passeront plus ou moins inaperçues, seront stimulantes, ennuyantes, inhibantes, inspirantes… La transformation d’un protagoniste peut être l’occasion d’une inutile et répétitive leçon, d’une découverte bouleversante, d’une confirmation, d’un malaise déroutant… Le niveau d’intégration des valeurs par le lecteur dépendra du degré de l’empathie qu’il aura éprouvée, résultat d’une alchimie entre les procédés d’écriture mis en œuvre et le moment à chaque fois singulier, différent pour chacun, de la lecture. Un récit pourra donc être reçu de manière très différente, quelle qu’ait été la précision des procédés mis en œuvre à l’écriture. Mais aucun récit ne transmettra durablement de valeur et l’adhésion du lecteur s’il ne possède pas les éléments nécessaires à cette empathie.

 

 

Ressources :

 

« L’espèce fabulatrice » Nancy Huston, Babel

« Professeurs de désespoirs » Nancy Huston, Babel

« La dramaturgie » Yves Lavendier, Les impressions nouvelles

« Story » Robert McKee, Dixit

« Grammaire de l’imagination » Gianni Rodari, Rue du monde