Personnages et protagonistes

Le personnage est la base de la quasi totalité de nos histoires. Nous allons voir qu’il peut s’agir d’une personne ou d’un groupe de personnes, d’un animal, d’un objet, voire d’un concept… C’est pour cela qu’en dramaturgie, on utilise plus volontiers le terme de protagoniste. Par ailleurs, on distingue le protagoniste principal des protagonistes secondaires, en fonction de leur place et rôle dans le récit. Tant qu'on ne sait pas qui est le protagoniste d’une histoire, il est difficile de la suivre et de savoir de qui elle parle.

 

Sans protagoniste, nous n’avons personne à qui nous identifier. Il est le pilier du principe de l’empathie qui nous permet de nous mettre à sa place, de ressentir ce qu’il ressent, de penser comme un autre que nous-même. Et l’empathie est le principal trésor des récits car c’est une qualité essentielle pour l’humanité, terriblement difficile à mettre en œuvre. Il suffit de prendre quelques exemples pour en saisir l’enjeu : les esclavagistes n’accordaient même pas la possibilité d’une âme à leurs victimes pourtant aussi humaines qu’eux, les occidentaux contemporains peinent à penser que les animaux et les plantes sont autre chose que des objets à exploiter plutôt que des vivants au même titre qu’eux. Voir la vie à travers les yeux d’autrui agrandit le monde et permet de résoudre bien des conflits.

 

Nous le découvrons avec l’exemple de la nature et les récits de décentrement, les protagonistes de nos histoires peuvent évidemment être non-humains. L’imagination humaine est sans limite quand il s’agit d’inventer les aventures de jouets ou d’objets, de « Toys Story » à « Etat de lame » de la belge Pascale Fontenaux. Et nous connaissons évidemment des récits mettant en scènes des vivants non-humains, des animaux des Fables de La Fontaine aux arbres du magnifique roman « L’arbre monde » de Richard Powers. Tout ceci est possible car la narration consiste précisément à ressentir des émotions, à envisager le monde avec nos sens autant que notre raison. Nous pouvons donc approcher ou prêter des émotions à des personnages dont nous ne connaissons ni les sentiments ni les réactions. Et nous pouvons aisément nous plonger dans les aventures d’un groupe, comme s’il s’agissait d’une entité soudée ou, au contraire, en explorant les nuances et les tensions entre chacun de ses membres.

 

Dans ce processus d’empathie, d’une part, l’auteur·e est potentiellement amené·e à mettre de ses propres ressentis dans ses récits et, d’autre part, elle ou il fait face à la possibilité d’explorer des vécus très différents du sien, de sortir de soi. Les lecteur et lectrices plongeront dans ces histoires d’autant plus profondément que ces émotions seront puissantes. Dès lors, personne ne souhaite suivre les récits de personnages clichés, non-attachants ou inconsistants. Le personnage n’est pas un truc, une recette, un rouage technique qui se résumerait à une idée. Le personnage est un miroir, plus ou moins fidèle ou déformant, qui permet d’observer nos failles, nos craintes, nos potentiels, nos espoirs. C’est le moyen le plus efficace de vivre plus d’une vie que la sienne et de rendre sa vie plus riche, plus consciente et plus nourrie du point de vue d’autres que soi-même.

 

Dès lors, construire un protagoniste consiste bien plus qu’à rédiger une liste de qualités, de défauts et de caractéristiques. Il s’agit de mettre ce personnage en situation de ressentir des émotions, de le placer dans la dynamique du récit, dont je parlerai par ailleurs, en lui créant une quête, un objectif et des obstacles, des conflits.