Confinement - Déconfinement : quelle histoire nous raconte-t-on ?

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  • 11 Mai 2020
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Confinement – Déconfinement. Si ces deux mots étaient les titres des deux tomes de notre actuelle saga collective, comment pourrait-on en analyser le scénario ? Le pitch de « Confinement » tient en cette phrase : « Restez chez vous ». Chacun chez soi : chacun est donc le protagoniste de ce récit. Chacun est renvoyé à la responsabilité de mener à bien cette quête : se confiner pour ralentir la progression du virus, l’adversaire tout désigné. Pourtant dans cette histoire collective, il est une question essentielle à se poser : tous les protagonistes ont-ils le même intérêt, les mêmes objectifs ou existe-t-il des failles, des divergences entre eux ? Or ce que le slogan du confinement ne dit pas, c’est que ceux-là même qui ordonnent de rester chez soi sont ceux qui ont manqué de prévoyance et ont organisé notre faiblesse collective en opérant des coupes budgétaires dans le système de soins de santé, qu’il s’agit à présent de préserver face au virus.

Ce premier niveau de lecture du récit « Restez chez vous » révèle une question dramatique plus profonde : comment mener ensemble une telle action coordonnée quand ce qui nous rassemble, ce qui pourrait être nommé notre « chez nous » doit être redéfini, repensé, reconstruit ? L’objectif caché auquel l’antagoniste pousse à se confronter est : comment pouvons-nous vivre ensemble, à travers l'épreuve d’une pandémie ? En effet, le thème se décline de manière fractale dès qu’on continue à creuser le « chez soi » initial. Aucun de ces lieux de confinement n’est égal, chacun n’habite pas de la même façon. Dès le début, la quête n’est pas équitable, certains doivent rester confinés à plusieurs dans des lieux exigus, sans jardin, sans accès à l’extérieur. D’emblée, la situation initiale révèle sa faille, la justice et l’inégalité de l’accès à un « chez soi » digne. « Rester chez soi » devient un dilemme quand son lieu de vie est invivable et cela double la quête de base de celle secondaire de l’accès à un habitat de qualité pour tous. Et les notions de quête de base ou secondaire ne traduisent pas l’importance de chacune d’elle mais leur ordre d’apparition dans le récit, la première éclipsant trop souvent la seconde qui tarde à se dévoiler.

Le résumé du chapitre un « Confinement » pourrait donc être le suivant : que chacun reste chez soi pour contenir la propagation du virus, tout en redéfinissant la manière de vivre ensemble pour que les soins de santé collectifs ne soient plus défaillants et que chacun ait accès à un logement de qualité et puisse vivre dignement.

 

Le pitch du chapitre suivant « Déconfinement » est présenté le plus souvent par cette phrase : « revenir à la normale ». Premièrement, cela pourrait être entendu comme « revenir à l’avant », à la situation précédente. Cependant, nous venons de le constater, le chapitre précédent est mû par le changement et pose la question de la transformation. Quelque soit son résultat, pour le pire ou le meilleur, tout aura été bousculé et le statu quo est impossible. Dans toute situation de transformation prend place l’opportunité d’un apprentissage, couronné ou non de succès. Il est donc illusoire de vouloir revenir à une situation initiale après avoir traversé un épisode qui, au mieux ouvre les consciences, au pire dissimule de plus en plus mal les failles et les blessures.

Pas de retour possible donc mais une (r)évolution. Il semble que ceux qui sont le plus avantagés par la situation de base souhaitent conserver leurs privilèges et bousculer le moins possible les équilibres précaires. Or nous l’avons vu, ils ne sont pas les seuls protagonistes de l’aventure même s’ils se veulent seuls prescripteurs du sens à y imprimer. Ils voudraient que tout redevienne « normal ». Mais est-il « normal » que l’espace de vie soit inéquitablement réparti et que les soins de santé soient un secteur où on peut imposer des économies ? Qu’y a-t-il de « normal » dans une société où le vivre ensemble n’est pas une notion unanimement acceptée car grevée d’injustices ? Dès lors, le déconfinement va inévitablement appeler à la redéfinition de nouveaux équilibres, à une (r)évolution qui dépendra de la profondeur et de la conscience de transformation à l’œuvre, à une nouvelle « normalité » à son tour sans doute temporaire.

Le résumé du tome deux « Déconfinement » pourrait donc ressembler à ceci : que chacun reprenne une activité au sein de la société en tenant compte des injustices exacerbées et à résorber, en définissant ensemble une évolution vers une nouvelle société.

 

Sans pouvoir préjuger de la fin de ce nouvel épisode de l’histoire et quelle que soit son issue, nul doute qu’il y aura une suite. Quel que soit son titre et ceux qui l’écriront, ses enjeux et ses ressorts dramatiques seront la continuation et la conséquence du récit collectif que nous avons traversé jusqu’ici. En choisir les mots, les rouages et les issues continuera à être aussi important pour reprendre le contrôle ou non de la manière dont chacun pourra vivre, se raconter son histoire, dans cette aventure collective.